Logistique de l’Irlande post-Brexit : les ports du Nord seront-ils sacrifiés ?

La Commission européenne a littéralement ignoré les ports français dans sa proposition de modification des routes maritimes entre l’Irlande et le continent européen.

Près de 80 milliards d’euros d’échanges commerciaux de marchandises sont en jeu.

 

Quel est le problème ?

Dans la perspective probable d’un Brexit « dur » pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne le 29 mars 2019, la Commission européenne a proposé d’adapter le corridor maritime RTE-T mer du Nord. Objectif : tracer une nouvelle voie entre l’Irlande et l’Europe continentale et ainsi éviter des procédures douanières lourdes pour le fret irlandais qui transite aujourd’hui en grande partie par la Grande-Bretagne pour atteindre le continent.

Problème : la commission européenne a simplement proposé l’alignement des principaux ports irlandais de Dublin et de Cork vers ceux de la Belgique (Zeebrugge, Anvers) et des Pays-Bas (Rotterdam). Ce qui reviendrait à ce que les ports maritimes français voient filer des millions de tonnes de marchandises au profit des ports belges et néerlandais.

Quelles ont été les réactions françaises ?

Les présidents des CCI Hauts-de-France (Philippe Hourdain, François Lavallée, Bruno Fontaine) mais aussi le président de la mission Rev3, Philippe Vasseur ainsi que Frédéric Motte, président du MEDEF des Hauts-de-France, ont crié au scandale, refusant tout net ‘que la commission européenne sacrifie avec mépris les ports des Hauts-de-France’. D’autant que l’avantage géographique est incontestable : le transit time entre Irlande et Zeebrugge, c’est 28 heures, contre 14 ou 15 heures pour un Calais-Douvres vers Cork ou Dublin.

Ils ont été rejoints dans cette analyse par la ministre du transport, Elisabeth Borne et le président de la Région Hauts-de-France, Xavier Bertrand. Pour le responsable des dockers dunkerquois, Franck Gonsse, cette décision de la Commission européenne est ‘incompréhensible’.

Calais serait particulièrement concerné : aujourd’hui, l’essentiel du trafic maritime d’Edinburgh et d’Irlande passe par les ports britanniques de Liverpool, Southampton, Felixstowe et Douvres, pour arriver à Calais et Dunkerque avant de partir vers Zeebrugge, Anvers et Rotterdam.

Sans oublier les transports par la route : tout le fret agricole et agroalimentaire traverse le Royaume-Uni en camions avant de rejoindre Douvres et Calais par la Manche (que ce soit le tunnel ou le ferry).

Ports Normands Associés (PNA), autorité portuaire de Cherbourg & Caen-Ouistreham a également rappelé que ‘le port de Cherbourg assure depuis longtemps déjà la continuité des réseaux de transports prioritaires entre le continent et l’Irlande’ : ils assurent depuis des dizaines d’années une liaison ferry quasi quotidienne avec l’Irlande, deux armements (Stena et Irish Ferries) ayant mis en place des lignes sur Dublin et Rosslare. Le port traite chaque année un trafic de plus d’un million de tonnes de fret et près de 300 000 passagers, il assure l’acheminement de près de 35 000 poids lourds et 70 000 véhicules particuliers, avec l’Irlande, en route directe.

 

Qu’en pense l’Irlande ?

L’association des ports irlandais (Irish Ports association) estime, quant à elle, que ces itinéraires alternatifs portaient sur près de 150 000 unités de pont terrestre, ce qui représente ‘un énorme défi logistique pour un pays petit mais fortement tributaire du commerce’. Elle ne se prive pas de critiquer l’absence d’une étude d’impact dans la décision de la commission européenne, constatant que de nouvelles routes maritimes seront ajoutées entre Dublin et Cork mais en oubliant au passage Shannon Foynes Port et en déplorant que ces trois ports ne puissent se connecter directement au corridor du réseau central de l’Atlantique alors qu’il ‘semble y avoir plusieurs candidats ports situés le long des côtes nord et ouest de la France’.

En quoi les Hauts-de-France sont-ils concernés ?

Une très grande partie des flux provenant de l’Irlande passe aujourd’hui par les Hauts-de-France via des liaisons routières, transitant soit par le Tunnel sous la Manche, soit par les Ports de la Côte d’Opale (Calais et Dunkerque). Près de 4,4 millions de camions ont traversé la Manche en 2017, soit via le tunnel sous la manche, soit par les ferrys. L’office central des statistiques irlandais a calculé qu’un million de camions transitent chaque année entre l’Irlande et l’Angleterre : près de la moitié avaient pour destination finale le continent ; près d’un tiers ralliaient Calais, le channel, Dunkerque ou Zeebrugge.

Quelle réponse de la commission européenne ?

La commissaire européenne aux transports, Violeta Bulc, a tout de suite répondu à ses détracteurs que cette décision a été prise en fonction des services maritimes internationaux réguliers existant entre Dublin et Cork en Irlande, entre Rotterdam (Pays-Bas) et Anvers (Belgique), ainsi qu’entre Dublin et Zeebruges (Belgique). ‘Nous n’avons pas connaissance de services réguliers vers les ports français du corridor, à savoir Calais et Dunkerque‘, avait dans un premier temps répondu la commissaire européenne.

‘Prendre pour étalon les services existants apparait contraire à la libre concurrence entre les infrastructures portuaires maritimes’, avaient prévenu les représentants du monde économique des Hauts-de-France. Car derrière l’enjeu d’appartenir au RTE-T mer du Nord se rattachent non seulement des emplois mais aussi des subventions européennes pour moderniser les infrastructures de transport. Avec des budgets colossaux à la clef :  24,05 milliards d’euros pour les transports entre 2014 et 2020, 30,6 milliards prévus entre 2021 et 2027.

Quelle sera la suite ?

Dans un courrier adressé à Elisabeth Borne et Xavier Bertrand, Violeta Bulc, commissaire européenne aux transports, a voulu les rassurer les ports français, notamment sur cette solution ayant « un périmètre limité et visant une solution à court terme » ainsi qu’à l’accès aux financements européens. Une rencontre pourrait avoir lieu courant septembre pour discuter dans le détail des futurs mécanismes de connexion entre l’Irlande et le continent.

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Benoit Breux Contacter par email

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